PACHYDERME / 01-12-2000

Sa denture faillit bien lui être fatale. Jusqu'en 1989, les éléphants d'Afrique furent littéralement massacrés pour leurs défenses d'ivoire, ces incisives supérieures hypertrophiées dont le poids peut dépasser 100 kilos. L'espèce ne dut son salut qu'à son inscription sur la liste des espèces en voie de disparition dont le commerce est interdit.

Étonnante espèce, à la fois sociale et solitaire, l'éléphant vit en groupe de 20 à 30 individus dans une société de type matriarcal. Les mâles ayant atteint leur maturité sexuelle sont exclus du troupeau et forment des groupes de célibataires dont les plus âgés restent solitaires.

Par ses cycles de vie (puberté vers 15 ans, mort vers 70 et 85 ans), l'éléphant n'est pas si éloigné de l'homme qui sent bien que la maladresse n'est pas leur seul point commun.

"Depuis prés de 40 ans que j'observe les éléphants, j'ai acquis la certitude qu'ils sont parmi les animaux les plus poches de nous, bien plus même que les plus grands singes" écrit Pierre Pfeffer, ancien chercheur au Muséum national d'histoire naturelle et farouche défenseur du pachyderme ("Vie et mort d'un géant, l'éléphant d'Afrique".1989. Flammarion).

Un exemple ? La solidarité. Lorsque l'un d'eux est malade ou blessé, les autres le cajolent et le soutiennent. ( Ce qui hélas ne le rapproche pas toujours de l'homme...). Lorsque la mère, après 22 mois de gestation, met bas son unique petit, elle est entourée d'assistantes qui débarrassent l'éléphanteau des membranes fœtales et l'aident à se mettre debout.

Et la mémoire, fameuse mémoire d'éléphant si souvent citée, qui lui permet de se souvenir de pistes déjà empruntées et aussi d'établir des liens d'affection durable avec les humains qu'il a côtoyés autrefois.

Rappelons enfin, cette conscience de la mort, rarissime chez les animaux. Les membres d'un groupe peuvent ainsi veiller un compagnon défunt des jours durant ou encore, par un étrange rituel, s'emparer des os ou des défenses pour les enterrer sommairement. Ce qui explique ce mythe tenace du fameux "cimetière des éléphants", jamais prouvé mais cité par notre "Schmoll" national Eddy Mitchell dans la chanson du même non.

Beaucoup plus troublant est l'observation d'ethnologues d'Amérique du Sud, publiée dans "Nature" et qui concerne le mutsth.

Dérivant d'un terme sanscrit signifiant l'extase ou la plénitude, le musth se traduit par une agressivité extrême accompagnée de curieux symptômes physiologiques. La publication dans "Nature" fait état d'une quarantaine de mâle jeunes et orphelins réintroduits depuis les années 80 dans le parc de Pilanesberg après avoir grandi en l'absence de tout mâle adulte.

Devenus pubères, ces jeunes mâles se sont révélés en période de musth d'une agressivité très supérieure à la normale allant jusqu'à tuer plus de quarante rhinocéros blanc.

Quelle est la découverte demande à l'homme l'impatient lecteur ?

L'introduction de six mâles plus âgés a suffi à calmer le jeu. Ainsi, chez l'éléphant comme l'homme, le contrôle du comportement passerait par l'imprégnation.

Montures des rois en Asie, symbole de pouvoir de stabilité ou symbole de force en Afrique, ce pachyderme ne cessera pas de sitôt d'étonner et d'émouvoir l'homme et les chercheurs.

D'Hannibal qui s'en servit pour traverser les Alpes à John Huston qui ordonna à son scénariste de lui trouver un film à tourner en Afrique afin de le chasser (African Queen), l'éléphant est et demeure un mythe. Un mythe, dont l'homme prendra, espérons le, toujours la défense (la défense d'éléphant), même s'il n'en croise que trop rarement en se levant le matin.