La Discothèque Idéale
 Retour
 
 

DE L'ART OU DU COCHON / 2-06-2001

 
 Y a-t-il mot plus galvaudé que celui de " courage"?

Peut-on être courageux en tant que critique d'art, en tant que directeur de musée, courageux en tant qu'amateur d'art ?

Jean Rustin est un peintre courageux.

Exposées à halle saint-pierre en exposition rétrospective, les peintures de Jean Rustin sont de magnifiques actes de courages et des bravoures. Miroirs vibrants qui nous renvoie notre part d'ombre, notre restant d'humanité, les "êtres" de Rustin sont seuls, fixes et funestes. Le sexe et les yeux béants, ils nous regardent et nous ne pouvons leur échapper. Ils nous rappellent ce que nous sommes. De gré ou de force.

Il faut bien du talent pour peindre ainsi. Et du courage bien sûr. Il faut aussi du courage pour exposer Rustin.

En 1983, à la maison des arts de Créteil, les réactions furent vives. Le livre d'or de l'époque en garde encore mémoire :

-....Il faudrait prévenir que l'exposition n'est destinée qu'aux obsédés, aux déboussolés... si peindre est une médication pour Rustin : tant mieux ! Mais on n'expose pas les malades sur la place publique"

-"Dommage qu'en 68 il ait rompu avec l'abstrait, il aurait fallu rompre avec ses pinceaux."

-Mettre ça chez moi ! Ce n'est pas une morgue ou quelque chose dans ce genre."

-"De l'ordure, encore de l'ordure, toujours de l'ordure, le pseudo peintre est à enfermer."

Ne pas exposer, enfermer…. Au-delà de la censure, c'est la peur et la terreur qui règne dans ces "témoignages". Terreur de ce qu'ils ont vu et ne voulaient voir. Regarder mais ne pas voir. De peur d'y croire. Car Rustin n'invente rien, tout est cruellement vrai dans sa peinture.

La peinture de Rustin donne à voir. Peut-être faut-il un tout petit peu de courage, même chez le spectateur.

L'homme, peut-être à tort, imagine M. Rustin lisant ce livre d'or avec un petit sourire. Touché ! doit-il penser en silence.

Les toiles de Rustin nous touchent de leurs éclatantes vérités.

Nulle obscénité, nulle violence dans les toiles mais bien dans ce qu'elles nous font ressentir et nous rappelle : l'Homme dans ce qu'il a de pire, de meilleur, dans ce qu'il est homme parmi les hommes. Plus facile d'accabler les toiles que de s'y regarder et de s'y reconnaître.

Les toiles de Rustin nous apprennent à nous aimer, en tout cas, à ceux qui en sont encore capables.

Il faut du courage pour organiser cette exposition de Rustin, et la "programmation " de la halle saint-pierre n'en manque pas.

Aujourd'hui Jean Rustin, hier Louis Pons, et Michel Nedjar (exposition magnifique dont peu ont parlé et qui se prolonge jusqu'en juillet), les choix de la halle saint-pierre sont singulier, atypiques et toujours magnifiques. Dans le monde de l'art parisien, si conventionnel, si consensuel, il convient de remarquer cette différence, ces efforts "remarquables" dans tous les sens du terme.

Allez à la halle saint-pierre... Regardez les peintures de Michel Nedjar et de jean Rustin ... Il s'y passe quelque chose d'indicible et d'incontournable.

Dans" le vif du vivant", Lydie Salvayre avait écrit au sujet de Picasso :

"Il ouvre les yeux peureux des hommes d'aujourd'hui dont les paupières se referment aux moindres surprises du regard, lles yeux de ceux chez qui le refus entêté de percevoir la beauté aussi bien que l'horreur s'est mué dés longtemps en habitude d'être."

Percevoir la beauté aussi bien que l'horreur, si bien écrit, si juste. Il y a (entre autres) cette volonté chez Nedjar et chez Rustin. Il y a ce courage et cette volonté à la halle saint-pierre.

On peut vivre les yeux fermés, on peut ne pas voir.

Que ceux qui marchent les yeux ouverts aille faire une escapade à la halle saint-pierre, il y a, comme d'habitude, en cet endroit de bien belles choses à voir : l'horreur, la beauté, la jouissance. De la vie, beaucoup de vie.

De bien belles raisons de se lever le matin.

 

 

Haut