La Discothèque Idéale
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BLEUE COMME UNE ORANGE / 16-06-2001

 
 L'homme, rouge de honte ou vert de rage, d'être passé à l'orange et de s'être fait prendre comme un bleu par un de ces hommes en noir…

Enfin bref, vous l'aurez compris, nous parlerons aujourd'hui de couleurs.

La couleur, les couleurs, le point commun entre le petit rouge pris sur le zinc, le bleu de M. Klein, l'enfant qui découvre l'arc-en-ciel et "Le rouge et le noir" de M. Stendhal.

Les scientifiques, les philosophes, les artistes, les chimistes, les amateurs de couchers de soleil, les collectionneurs de papillons, les daltoniens, tous se sont passionnés pour le même sujet.

Depuis Aristote et Platon jusqu'à Goethe et sa "théorie des couleurs" en passant par Newton et le grand Léonard, les plus grands esprits ont écrit sur les couleurs. Même Voltaire s'en est mêlé. ( C'est dire…)

Pour Goethe, les couleurs se classifient en trois parties : les couleurs physiques, les couleurs chimiques et les couleurs physiologiques.

Les couleurs physiques ou "couleurs lumières" sont celles, immatérielles, que l'on obtient par exemple en décomposant la lumière blanche au moyen d'un prisme, ou que l'on observe lors d'un arc-en-ciel.

Les couleurs chimiques ou "couleurs matières" sont, elles, dues aux pigments ou aux molécules spécifiques qu'emploient les peintres ou les teinturiers. Certaines étant désormais interdites pour leurs toxicités, comme le vermillon, un oxyde de mercure.

Enfin, les couleurs physiologiques, dont le concept est plus confus, dans la mesure où il mélange en vrac la beauté des ailes de papillons et les plumes de paon.

Illusions colorées de notre cerveau qui nous trompe, confondant une couleur définie par le mélange de deux voir trois autres. Tout le monde suit ?

Quelles qu'elles soient, les couleurs ne sont qu'apparences, illusions. C'est l'aptitude de notre cerveau à se laisser berner qui nous permet de regarder la télévision, de faire des photos, d'aller au cinéma ou d'imprimer en couleurs.

Ainsi, l'indigo des bleus de travail et des blues jeans et la pourpre des manteaux des empereurs romains procèdent de cette grande illusion. Entre les deux molécules, celle de l'indigo mao et celle de la pourpre impériale, il n'existe qu'une infime différence. Toutes les deux sont constituées de trente atomes identiques, répartis en quatre cycles construit sur le même plan. Simplement, dans celle de la pourpre, un seul atome de brome remplace un atome d'hydrogène. Un atome de différence et sous la pluie de photons lumineux, les électrons de la molécule vibrent de façon différente et ré-émettent du rouge au lieu du bleu.

Ainsi, enfermés dans le noir, on ne distinguera pas le travailleur en bleu de l'empereur romain en toge.

(Ce qui peut être très gênant, vous en conviendrez)

Dans le noir, l n'y a plus ni rouge, ni bleu, car la couleur n'existe que dans l'interaction entre matière et lumière.

Quant aux bulles de savon, aux cuillères d'argent un peu oxydées, aux flaques d'huiles sur la chaussée, à la nacre des coquillages ou les ailes des papillons, tous ces jolis reflets ne sont dus qu'aux interférences.

À ne pas confondre avec ceux des toiles d'araignées qui relèvent de la diffraction de la lumière. Tandis que la diffusion, elle, explique pourquoi la neige est plus blanche que la glace.

L'homme, vu la complexité du sujet comprend mieux que pourquoi la peinture à l'huile est si difficile.

(Quant à la peinture à l'eau, on sait à quoi s'en tenir)

Et le ciel bleu ? Cocktail multicolore de la blanche lumière solaire, les rayons bleus, parce que leur longueur d'ondes s'y prête, sont un peu plus enclins à se "disperser", par ricochets sur les molécules de l'atmosphère. Ils préfèrent le "chemin des écoliers", tandis que les autres nous parviennent en direct.

Si tous les rayons de toutes les couleurs nous parvenaient ensemble, le ciel serait noir et le soleil blanc. (le monde est bien fait quand même.)

Reste la fameuse question, quel est le nombre de couleurs dans l'arc-en-ciel? Trois pour Aristote, cinq pour Gassendi, sept pour newton, les physiciens en devinent aujourd'hui une infinité. De toutes façons, l'arc-en-ciel n'est lui aussi qu'une illusion.

L'homme, désormais, regardera avec plus de méfiance les robes rouges et les robes bleues des jeunes filles.

(L'homme, c'est bien connu, regarde les couleurs des robes…)

Mais que répondre à celle qui lui demandera les yeux dans les yeux :

"-Comment tu trouves mes beaux yeux verts ?" 

L'homme n'osera jamais lui parler d'illusions et se contentera sûrement de l'embrasser sur sa rouge bouche. Enfin, rouge.... 

Ironie du sort, c'est quand l'homme se penche sur les merveilles des couleurs et de la lumière qu'il apprend la mort d'un des plus grands chefs opérateurs du cinéma français. Un des plus grands magiciens de la lumière vient de rejoindre le royaume des ombres.

Henri Alekan publia en 1984 (il avait alors 75 ans) "Des lumières et des ombres", Livre passionnant sur le rôle de la lumière et de l'ombre dans la création cinématographique :

"Éclairer, en photographie, à la télévision, au cinéma ou au théâtre, c'est donner physiquement à voir, "illuminer", ou mieux "luminer", c'est donner à penser, à méditer, à réfléchir; c'est aussi émouvoir."

La liste est longue des films dont Alekan fut le chef opérateur, ne citons que certains :

  • La bataille du rail (rené Clément)
  • La belle et la bête (jean Cocteau)
  • Anna karénine (julien Duvivier)
  • Vacances romaines (william Wyler)
  • Alekan se distinguera aussi par le traitement de la couleur sur Austerlitz (Abel Gance) ou La princesse de Clèves (jean Delannoy)
  • Il travaillera enfin sur des productions internationales :
  • Topkapi (jules Dassin)
  • Soleil rouge (terence Young)
  • La truite (joseph Losey) qui lui vaudra le césar de la meilleure photographie

Hollywood lui rendra hommage en lui attribuant un oscar en 1993.

Pour les plus jeunes, il restera associé pour son merveilleux travail de noir et blanc à Wim Wenders sur " l'état des choses" et "les ailes du désir".

L'illusion des couleurs, le combat entre l'ombre et la lumière, M. Alekan est entré au panthéon où il doit déjà être en train d'en faire "la mise en lumière".

Rêveur, l'homme se plaira à penser que, désormais, les journées auront pour chef opérateur M. Alekan.

Une belle raison de se lever le matin pour assister au spectacle.

Henri Alekan "des lumières et des ombres "
(Ed. Du Sycomore, réédité en 1993 par La librairie du collectionneur). Et bien sûr, le plaisir de voir et revoir tous les films dont il fut le chef opérateur.

 

 

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