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Robert Johnson : "The Complete Recordings"

 
 Robert Johnson est probablement un des artistes noirs américains les plus importants du siècle. Légende du Blues ultime, il cristallise autour de lui l’ensemble des mythes fondateurs d’un genre musical encore en devenir à l’époque : jeune, crâneur, révolté, violent, incroyablement doué techniquement et d’un feeling dément.

Alors qu’adolescent, on se moquait de sa technique approximative et de son chant peu assuré, il disparaît quelques temps avant de réapparaître littéralement métamorphosé, possesseur d’une technique sublime et innovatrice. Le mythe fondateur du Bluesman qui vend son âme au diable pour le talent est né.

Sa vie rocambolesque ne fera qu’accroître la légende, jouant de bars miteux en juke-joints de campagnes, toujours accompagné de nouvelles conquêtes, de bagarres et de boissons. Et pour finir, empoisonné à la strychnine par le patron jaloux d’un bar…

Quant à sa technique de guitare, il s’inscrit dans une tradition de Blues rural développée entre autres par Charley Patton et Son House en y apportant une innovation majeure : les walking bass. Cette rythmique jouée sur les cordes graves va lui permettre de jouer des solos tout en s’accompagnant lui même. Keith Richards, le guitariste des Rolling Stones, croyait d’ailleurs à ses débuts que deux guitaristes jouaient sur le disque ! ! ! Comme un de ses dignes successeurs, le grand Jimi Hendrix, on disait de lui qu’il était capable de reproduire intégralement une musique qu’il n’avait entendu qu’une seule fois.

La voix de Robert Johnson est elle superbe de feeling, mettant parfaitement en valeur des paroles souvent ironiques, salaces " Dead Shrimp Blues ", " They’re Red Hot " ou glaçantes " Hell Hound On My Trail ".

Les enregistrements réunis ici sont tous exceptionnels et constituent des classiques du répertoire : " Kind Hearted Woman Blues ", " Dust My Broom ", " Sweet Home Chicago ", " Ramblin’ On My Mind ", " Come On In My Kitchen ", " Cross Road Blues ", " Walkin’ Blues ", Steady Rollin’ Man ", " Love In Vain "…

Certaines chansons constituent à elles seules de véritables matrices du Blues en devenir comme ce " Dust My Broom " qui invente une rythmique devenue un cliché de tout guitariste de Blues et le thème du looser magnifique " Je me casse ce matin / Le mec que tu aimes peut avoir ma chambre ".

Robert Johnson maîtrisait parfaitement la guitare slide comme le prouve ce magnifique " Come On In My Kitchen " et ses paroles pleines de sous entendues : " La fille que j’aime / Je l’ai piquée à mon meilleur ami / Un chanceux me l’a reprise / Tu ferais bien de venir dans ma cuisine / Il va pleuvoir dehors ". De même, " Walin’ Blues " est transfigurée par un jeu exceptionnel de bottleneck, par un chant possédé et par des paroles douloureuses sur le mal de vivre (" Je me réveille ce matin / Complètement à coté de mes pompes / Bébé, J’ai été trahi / Et mourir ne me dérange pas ")

Évidemment, on ne peut manquer de signaler LE blues séminal, l’autobiographique " Cross Road Blues ", transfiguré plus tard par un Clapton que l’on nommait alors Dieu. Et c’est bien Dieu qu’invoque un Robert Johnson, abandonné et agenouillé à un carrefour. La légende veut que c’est pourtant le diable qui vint le chercher, au prix de son âme. Celui ci est d'ailleurs souvent présent dans ses paroles comme dans un étrange " Me And The Devil Blues " dont les paroles oscillent entre une version américaine du vaudou (" Enterre mon corps à coté de l’autoroute / Comme ça ma vielle âme méchante / pourra prendre un bus et voyager ") et une relation presque intime avec le démon (" Tôt ce matin / Quand tu as frappé à ma porte / J’ai dis " Bonjour Satan, je crois que c’est l’heure d’y alle"r / Le Démon et moi / Nous voyagions cote à cote ").

Le diable envoie parfois ses sbires à sa place comme dans cette description glaçante d’un Robert Johnson pourchassé par les chiens de l’enfer (" Hell Hound On My Trail ") où les dissonances de la guitare évoquent les aboiements des démons.

Citons enfin ma petite préférée, la tristesse abyssale d’un " Love In Vain " dont les paroles, synthèse des thèmes propre au Blues (le train et le voyage, la séparation…), sont peut-être les plus pudiques et les plus belles écrites par un parolier pourtant souvent inspiré.

Voici donc ici les seuls enregistrements connus du Faust du Delta, enregistrés durant les années 30, mélange miraculé de maîtrise technique et de feeling dévastateur.

Inutile de faire d’autres commentaires que celui d’un connoisseur du genre, j’ai nommé Eric Clapton :

" Robert Johnson est le plus important musicien de Blues qui ait jamais vécu. "

A écouter :

  • On ne peut citer tous ses fils spirituels pour cause de manque de place…
  • Tournons nous donc plutôt vers les personnes qu’il a écouté et qui l’ont inspiré comme Charley Patton et Son House.

 

Robert Johnson, "The Complete Recordings", 1990, Columbia.

 
 

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