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JACQUESJACQUES BREL BREL

Jacques Brel, 1990, Polygram, 2CD.

Encore un mythe qu’il faut critiquer… Exercice difficile….

Jacques Brel doit être considéré comme un des chanteurs les plus importants de la musique francophone (oui, il était belge, c’est pas de sa faute…). Voui, voui, j’hésite pas…

J’ai connu un ami qui ne pouvait entendre Brel en public tellement cette musique l’émouvait. Et qui se réfugiait dans sa chambre pour l’écouter et pleurer sans être jugé….

Bon, passons au détail du disque, il s’agit d’un best-of, meilleur moyen d’approcher le monstre. D’autant que vous connaissez déjà une bonne partie des chansons dont on va causer plus avant. 2 CD’s… Que des chansons indispensables… Sélection :

Tout commence par une version d’Amsterdam en public. Que dire sur cette chanson qui n’a déjà été dit ? Rien si ce n’est que cette version ‘à chaud’ est magnifique et rappelle la puissance du chanteur lorsqu’il était en scène. 

" Au suivant " : la description d’un ‘bordel ambulant d’une armée en campagne’ est terrible et probablement inédite pour l’époque. Des paroles d’une incroyable violence et une question toujours d’actualité : " est-il plus humiliant d’être suivi que suivant ? "…

" Ces gens-là " : des paroles jamais entendues jusqu’à lors par la puissance de la description d’une famille dégénérée. Et pourtant pas si éloignée de nous que ça. " Mais il est tard, Monsieur, il faut que je rentre chez moi ".

Le vieil esprit anti-clérical se manifeste souvent comme dans " Les Bigottes ", " Les Flamandes ".

Quelle cruauté dans ses paroles !  L’homme devait être particulièrement lucide sur ses contemporains ! J’en veux pour preuve les textes de " La Fanette " ou du " Moribond ".

" Vezoul " est un sommet aussi bien pour des paroles ironiques sur un homme complètement sous la coupe de sa compagne et aussi pour sa mélodie et son accompagnement grâce à un accordéon sublime. Chauffe Marcel, chauffe ! Kai, Kai !

Brel parait d’ailleurs tellement déçue par ses compagnes (cf : " Madeleine " ou " Les Bonbons ") qu’on en vient à se demander s’il était aussi misogyne qu’on le dit… Et il est vrai que les femme ne sont pas bien traitées (souvent victimes ou bourreaux) chez lui " Orly ", ou " La Fanette ".

" Ne me quitte pas " : nous ne reviendrons pas, ni sur les paroles (peut-être les plus marquantes de la chanson française…), ni sur le riff au piano sublime… On notera que cette chanson traduite en anglais par Scott Walker, sauf erreur (merci de m’indiquer qui a écrit la traduction en anglais si ce n’est pas lui), a été reprise par de nombreux artistes (entre autres Bowie, ou alors Emiliana Torrini qui l’a repris dans une sublime version lors de son dernier concert au Trabendo).

" Le cœur bien au chaud et les yeux dans la bière " : c’est " Les Bourgeois " ou le vieil esprit anarchiste du bon Jacques ressurgit. Comme toujours chez Brel, les paroles sont particulièrement ironiques comme le prouve le retournement de situation de la fin de la chanson (qui me fait penser aux révolutionnaires de Mai 68 devenus grands patrons).

La mort est souvent présente dans les paroles de Jacques Brel comme le prouvent " Le Moribond ", " Fernand ", " Jojo ", " Vieillir " - paroles à nouveau incroyables de modernité - ou " Le Dernier Repas ". Toutefois, c’est ici bizarrement, que la joie de vivre ressurgit : " Je veux qu’on rit, je veux qu’on danse quand c’est qu’on me mettra dans le trou ". L’illusion ne dure pas longtemps puisqu’il déclare ‘Je sais que j’aurais peur une dernière fois’. Mais qu’est le plus terrible ? ‘Mourir, cela n’est rien mais vieillir, vieillir… "…

L’amour – difficile à comprendre de nos jours, mais il est vrai que nous parlons d'un temps que les...  - de Brel pour l’opérette le poussera à interpréter " La Quête " dont il nous reste cette incroyable chanson dont les paroles résonnent encore : ‘Je ne sais si je serais ce héros mais mon cœur serait tranquille’.

" Les Toros " ou la description du spectacle surréaliste d’une corrida  à travers les yeux du taureau mis à mort. Subtile ironie. Parlant des taureaux sacrifiés : ‘(...) ne nous pardonneraient-ils pas en pensant à Carthage, Waterloo et Verdun ?’

Les orchestrations atteignent souvent le sublime comme sur " La Fanette ", " Ne me quitte pas ", " Quand on a que l’amour ", " La Valse à Mille Temps " (merci à ma vieille prof de français de m’avoir fait découvrir ce merveilleux morceau, très peu rock’n’roll il est vrai. La prof en question était elle aussi assez peu rock'n'roll...), " Le Plat Pays " pour son implacable sobriété, " Mathilde " au contraire pour son exubérance, " Le Dernier Repas " et sa marche funèbre.

Pourtant, quelle délicatesse dans la description de " Les vieux ", quelle compréhension, quelle précision dans la description du calvaire des personnes âgées qui nous sont chers et que nous laissons malgré nous partir seules et isolées.

Brel ne se laissait pas abuser par le ‘star system’ et tout ce qui entourait sa condition de ‘grand chanteur " comme le montrent une des chansons que je préfère " Jacky " ou sa retraite dans les Iles des Marquises " Les Marquises ". Quelle cruauté sur sa propre condition de chanteur dans Jacky. Il ne laissait rien passer rien à personne, même pas à lui… Et quelle profession de foi…

‘Ils sont plus de deux mille et je ne vois qu’eux deux’ : c’est " Orly " ou une des plus grandes chanson du grand Jacques. Séparation de deux jeunes amants à l'aéroport. Impossible à décrire si ce n’est en retranscrivant plus ou moins bien certaines des paroles. Et ces paroles font mal, qui que vous soyez, vous ne pouvez les écouter sans frissonner… " La vie ne fait pas de cadeau / et nom de dieu c’est triste Orly le dimanche, avec ou sans Becaud ". Merci à Gautier (pas de mail connu) pour avoir mis mon nez (pourtant proéminent) sur cette incroyable chanson. A écouter absolument avant de juger le grand Jacques.

Enfin, la chanson ultime dans lequel chacun peut se projeter : " La chanson des vieux amants " qui faisait pleurer mon ami. ‘Bien sur, nous eûmes des orages’ ; ‘Moi je sais tous tes sortilèges, tu sais tous mes envoûtements’ ; ‘il fallu bien du talent pour être vieux sans être adulte’ et surtout ‘mais n’est-ce pas le pire piège que de vivre en piège pour des amants ?’. ‘Je t’aime encore, tu sais…’ Spéciale dédicace, comme on dit…

Certaines chansons paraissent un peu datées au niveau de l’orchestration (" Les bergers ", " Les Biches ", ). Pourtant, à chaque fois, c’est la puissance des paroles qui frappe l’imagination par leur modernité.

Une des seules lacunes de ce superbe ‘meilleur de’ est l’absence de ‘Jeff’ , non t'es pas tout seul, qui prouvait à qui n’avait pas encore pas encore compris, l’incroyable humanité subtilement enrobée de cruauté s'émanant des textes de Brel.

Si vous ne connaissez pas Jacques Brel, ce double CD est à posséder impérativement. Si vous le connaissez, il vous reste à vous procurer l’intégrale…

Pas d’autres alternatives…. Le silence après Brel est encore de Brel, pour reprendre une formule connue.

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